Auvergne : l’indépendance de la presse pour tous ?

En 2013, le Mariage pour tous a séparé la société civile, politique et médiatique en deux camps. Dans la région Auvergne, le traitement de ce phénomène a mis en lumière les différences d’orientations des médias locaux. 

En 2013, le Mariage pour tous a agité les débats. Rarement en France, une question avait été aussi clivante, opopsant les pros aux anti lors de manifestions aux affluences records. En effet, l’adoption de la loi autorisant les personnes de même sexe à se marier n’a pas mis l’ensemble de la population française d’accord et une partie d’entre elle s’est fortement opposée à cette loi. Pendant près d’un an, le pays a vécu au rythme d’une discorde sans précédent. Les journalistes étaient les premiers relayeurs d’informations lors de cet événement. Tous devaient obéir à la ligne éditoriale du média auquel ils appartenaient. Au niveau local, comment RCF, La Montagne, France 3 Auvergne ou encore La Semaine de l’Allier ont-ils traités ce sujet ? Avec quel degré de subjectivité ? Quelle dose d’indépendance ? 

Des manifestations bondées à Paris et dans les grandes villes, des initiatives citoyennes dans de nombreuses communes. Cette photo de l’AFP qui montre un échange de baiser entre deux femmes devant un parterre de militants opposés au Mariage pour tous ou encore une guerre de slogans ravageurs entre les deux camps. Les médias locaux ont rapporté ces différents événements au travers de reportages, de discussions ou d’articles factuels.

Le débat sur le mariage pour tous a scindé la France en deux. Une division que l’on retrouve dans le traitement médiatique local.

Focus sur trois médias régionaux

Le choix de ces médias s’est effectué sur un critère : l’accès disponible aux archives. France Bleu Auvergne n’avait par exemple pas d’archives. Le flux d’information à cette période était si important qu’il n’est pas exclu que quelques uns des articles n’aient pas été comptés. C’est un recensement non-exhaustif permettant avant tout de construire une base de travail suffisante afin d’identifier des personnes et recueillir leurs témoignages.

  • RCF (Allier et Puy-de-Dôme) : RCF ou Radios Chrétiennes de France est un réseau de radios chrétiennes. Ses principales finances viennent des dons des auditeurs. Les ondes d’RCF réunissent chaque jour 30 000 auditeurs.
  • La Montagne : La Montagne est un quotidien régional diffusé en Auvergne et dans une partie du Limousin. Il est diffusé à 162 696 exemplaires par jour selon l’ACPM (Alliance pour les chiffres de la presse et des médias).
  • La Semaine de l’Allier : La Semaine de l’Allier est un hebdomadaire consacré au département de l’Allier. L’hebdomadaire emploie quatre journalistes dans les rédactions de Vichy, Moulins et Montluçon. En 2016, La Semaine de l’Allier est diffusé à plus de 9000 exemplaires par semaine.

Éric et Laurent : des citoyens engagés et médiatisés

Ces deux hommes se sont mariés le 8 juin 2013 à Louroux-de-Beaune. Le premier mariage homosexuel célébré dans l’Allier. France Inter, La Montagne, La Semaine de l’Allier ou encore RCF, tous ces médias ont suivi ce couple durant les manifestations, certains même jusqu’au mariage.

loloetericÉric et Laurent on été sollicités par de nombreux médias, locaux et nationaux, suite à leur démarche citoyenne. Crédit photo : Léa Le Breton

Ils souhaitaient avoir le même droit que les couples hétérosexuels. Effarés par tant de haine visible à travers les écrans de télévision, Éric et Laurent ont entrepris une démarche citoyenne. Celle d’aller voir tous les habitants de leur village avec un autre couple homosexuel et les sonder sur le projet de loi du Mariage pour tous. « Nous vous demandons de soutenir activement le projet de loi – Mariage pour tous – afin que nos proches, nos amis et nos voisins concernés puissent accéder aux mêmes droits que tous », expliquait la pétition. Sur une commune de 189 habitants, ils ont rencontré 116 personnes. 101 signatures « pour » le projet de loi, quand 15 personnes ont refusé de signer ou n’ont pas souhaité se prononcer. Ils ont aussi reçu 164 soutiens hors de la commune. Au total, les deux couples ont réuni 265 signatures pour cette pétition. C’est cette action, avec le soutien du député de l’Allier, M. Lesterlin, qui ont amené les médias nationaux et locaux à s’intéresser à ce couple engagé. Lors de notre rencontre avec le couple, Eric se livre sur cette médiatisation rapide :

« Après notre passage sur France Inter, tous les médias locaux sont arrivés, c’était beaucoup pour nous d’un coup, mais nous étions fiers de pouvoir parler pour ceux qui n’osaient pas. Il y a encore beaucoup de jeunes qui ont peur de faire leur coming out dans des petites communes comme Louroux-de-Beaune. » 

Le journal La Montagne a mis à la Une de son journal le couple marié le 8 juin. Laurent n’a pas peur d’affirmer dans les colonnes du quotidien que certains médias n’ont pas dissimulé leur position sur la question du Mariage pour tous :

« Il y avait dans certains éditos une homophobie à peine déguisée. » 

Pression ou simple respect de la ligne politique ?

Chaque journal possède une ligne politique plus ou moins affirmée. La Semaine de l’Allier se situe à droite sur l’échiquier politique. L’ancien PDG du groupe Impact Médecin et co-fondateur du site Doctissimo.fr, Jean De Charon, dirige l’hebdomadaire et y écrit ses éditos. Durant la période des débats pour le Mariage pour tous, Éric s’est dit heurté par l’un des éditos de monsieur Charon :

« Nous avons été choqué par un édito journalistiquement incorrect. » 

Dans cet édito, Jean De Charon écrit : « Face au « Mariage pour tous » qui n’est qu’un habile slogan » (…) « Je ne reviendrai pas… Sur la fiction du mariage homosexuel au nom de l’égalité pour tous ceux qui s’aiment, celle de l’homoparentalité au nom de l’amour ou de l’adoption au nom du droit de l’enfant » (…) « Je fais partie d’une génération qui a vu exploser l’épidémie du sida et les immenses souffrances qu’elles a engendrées y compris dans la dénonciation de la communauté homosexuelle ». Une réflexion et des commentaires engagés, mais autorisés dans un format comme l’édito.

Ce que regrette le couple avec La Semaine de l’Allier, c’est un traitement journalistique désorienté. Si les relations entre les journalistes et le couple avaient bien commencé, elles se sont détériorées au fil du temps.

« La Semaine de l’Allier était présente dès nos débuts. L’une des journalistes a réalisé un bel article sur une page intitulée « La Mairie pour tous », puis par la suite, ils ont été moins présents et les journalistes ont donné souvent la parole à la Manif pour tous. »

Des paroles confirmées par les faits. Dans l’analyse des articles publiés dans La Semaine de l’Allier sur le sujet du Mariage pour tous, il y a beaucoup plus d’articles qui relaient les différentes manifestations organisées par les anti-mariages gay. Le président de l’association de La Manif pour tous 03, Philippe Chevallier-Chantepie, est d’ailleurs, à maintes reprises, sollicité pour exprimer son opinion dans les différents articles.

Pour Tristan Potelle, journaliste à La Semaine de l’Allier à l’agence de Moulins, les débats autour du sujet du Mariage pour tous se sont surtout résumés aux nombreuses manifestations menées par la Manif pour tous. L’hebdomadaire ne se cache pas de ses orientations politiques et assume avoir donné la parole davantage aux opposants plutôt qu’aux partisans du mariage homosexuel.

La Montagne, un traitement impartial 

Comme dans tous les autres médias, le journal La Montagne n’a pas échappé aux débats internes au sein des rédactions. Le Mariage pour tous a été, un long moment, au cœur des discussions entre les journalistes des différentes agences présentes sur toute la région de l’Auvergne. À la question, « comment traiter de ce sujet ? », Stéphanie Ména, journaliste à l’agence de Moulins répond simplement.

« En couvrant l’ensemble des manifestations et en leur donnant une place proportionnelle. »

Donner la parole à tous : anti et pro mariage gay, tel était le positionnement du quotidien La Montagne qui sort à 170 000 exemplaires chaque jour. Le journal a parfois fait l’objet de vives critiques de la part des opposants au mariage homosexuel, lui reprochant de faire campagne en faveur du Mariage pour tous. Elsa Charnay, journaliste et responsable de l’agence de La Montagne à Riom, se défend de ces accusations.

« Dès lors qu’un sujet, comme celui-ci, divise autant la société, il y a toujours un parti qui considère que tel ou tel média prend position contre son camp. Ce sont toujours les mêmes critiques que l’on entend. Pour le Mariage pour tous comme pour tous les autres sujets qui font débat, nous mettons un point d’honneur à traiter du sujet de façon la plus juste possible. »

Le Mariage pour tous a, certes, permis de s’interroger sur le traitement journalistique, mais il a été aussi l’occasion pour tous les journalistes de La Montagne de reparler des fondamentaux de chacun sur des sujets de société.

« Évidemment, nous n’étions pas tous d’accord et chacun a ses propres opinions personnelles, mais il a été utile et parfois même libérateur pour certains d’en parler ouvertement dans la salle de rédaction. »

Dans l’Allier, c’est le collectif La Manif pour tous 03 qui représente le département. Elle est présidée par Philippe Chevallier-Chantepie. Il a eu à faire à la presse locale à plusieurs reprises. Son constat sur les médias locaux est différent de la mauvaise réputation des journalistes sur le territoire national.

« Je suis satisfait du traitement des médias locaux, je l’ai reconnu devant l’équipe de l’association. La Montagne et La Semaine de l’Allier ont été soucieuses et objectives dans le traitement de notre mouvement. Je regrette simplement qu’après le passage de la loi, les médias aient arrêté de relayer nos actions. »

Un autre responsable de la Manif pour tous, basé à Vichy, décrit ses rapports avec le quotidien comme « corrects » en 2013 sans vouloir en dire davantage.

Aujourd’hui, l’association de La Manif pour tous est toujours active. Si le combat contre la loi du Mariage pour tous a été perdu, ils sont toujours présents sur le reste des questions liées à la famille. Adoption pour les couples homosexuels, PMA, GPA, autant de chevaux de batailles .

« C’est un noyau qui fonctionne 24h sur 24 et on ne lâchera pas », dit Philippe Chevallier-Chantepie.

Le Mariage pour tous, source de divisions pour RCF

Du côté de la radio et plus spécifiquement à RCF, la question du Mariage pour tous a fortement divisé les salles de rédaction. Étant un média affichant clairement la couleur, le traitement journalistique de ce sujet a été très discuté, aussi bien en interne qu’en externe.

Marc-Alexis Roquejoffre, rédacteur en chef de RCF Puy-de-Dôme, se souvient particulièrement de cet épisode sociétal très médiatisé.

 

Un autre journaliste a témoigné sur ce phénomène qui a bousculé la société. À la sortie d’un studio, il se livre sur des relations conflictuelles qu’il a eu avec sa hiérarchie.

« En 2013, lors de la Manif pour tous, il y a eu un vrai tournant pour la radio. Longtemps, elle a été cataloguée et réduite à son rôle religieux, les journalistes ont donc été pointés du doigt par les pro-mariage pour tous d’être la radio porte parole de la Manif pour tous. »

Pour contrer cette réputation et donner la parole aux acteurs du Mariage pour tous, ce journaliste a souhaité faire intervenir un homosexuel sur la radio. Celui-ci était d’accord pour débattre avec un opposant. Résultat : personne n’a souhaité parler avec cet homme. Le journaliste a donc réalisé une interview qui dure près de 30 minutes.

Nous avons retrouvé l’homme interrogé sur les ondes d’RCF satisfait de son passage.

« J’étais très content de pouvoir m’exprimer sur cette radio chrétienne. Presque toute l’interview à été retransmise dans son intégralité, sauf au début quand je préviens que je ne suis pas croyant. »

L’interviewé n’a pas eu de retours sur l’émission. Si pour lui tout s’est très bien passé, ce n’est pas le cas pour le journaliste. En effet, ces trente minutes ont fait réagir les auditeurs ainsi que les supérieurs hiérarchiques.

« La plupart des membres du conseil d’administration d’RCF étaient des membres actifs de la Manif pour tous. Suite à cette interview, qu’ils n’ont pas acceptée, j’ai reçu des menaces de licenciement. » 

Des menaces qui illustrent bien le manque d’indépendance des journalistes locaux dans le traitement de l’information.

« Nous dépendons de nos auditeurs, c’est eux qui nous font vivre. Sur ce sujet, évidemment la plupart étaient réactionnaires, conservateurs et donc opposés au Mariage pour tous. Nous, les journalistes de radio RCF, nous souhaitions traiter ça en toute neutralité. Malheureusement, l’audimat fait qu’il faut réfléchir à deux fois à la façon dont on va parler du sujet, s’exprime-t-il avant d’affirmer, il n’y a pas d’indépendance dans le journalisme, il faut obéir à la ligne éditoriale quitte à aller parfois contre ses convictions. »

Constat terrible mais lucide de la situation qu’il a vécu. Cette période a laissé des traces dans les rédactions où la part de l’influence politique et religieuse ont joué un rôle notoire dans l’indépendance des journalistes locaux.

Rémi Simonet et Léa Le Breton