Lors d’une sortie d’école, la classe 2A de l’Institution scolaire Valdigne Mont-Blanc de Courmayeur s’aperçoit qu’un cheval couché dans la boue était en train de mourir. Quelques jours plus tard, l’animal perdra la vie. Il aurait été empoisonné par du plomb.
Il neige, en ce 19 février 2020. La classe 2A de l’école moyenne de Courmayeur part à la découverte d’une partie inexplorée du territoire, le lieu dit de La Margherita. C’est un endroit où on ne passe pas par hasard: il se situe non loin du centre ville, mais à l’écart, au fond d’un chemin sans issue et réservé aux riverains. Il faut prendre la route qui, de Piazzale Monte Bianco, passe devant la caserne des Carabinieri, et arrive à la rivière Doire Baltée.
Ceux qui ont entendu parler de La Margherita savent que, il y a une vingtaine d’années, c’était une décharge publique, qui a été recouverte de terre emportée ensuite par une inondation. Ils n’ont pas plus d’informations, car c’est un de ces lieux qu’on cherche à effacer de la mémoire, c’est comme si on lui avait étendu un voile noir dessus, le voile de l’oubli, pour le cacher à la Courmayeur touristique, bouillonnante, pétillante et dorée. Et c’est vraiment cela que le élèves voient aujourd’hui, l’autre visage de Courmayeur, le côté obscur, sale, qu’il vaut mieux cacher plutôt que de dévoiler.
UNE ARRIÈRE-COUR ABANDONNEE
C’est avec la sensation de se rendre dans l’arrière-cour abandonnée de leur village que les élèves descendent, par un chemin glacé, jusqu’à la Doire Baltée. L’absence de feuillage met encore plus en évidence l’étrangeté du bois qui entoure les lieux, avec ses pins noirs très hauts, sans branches, les pentes raides, et le terrain qui donne l’impression d’être instable.
De l’eau coule de partout, même s’il fait froid, en formant des colonnes sablonneuses et en partie recouvertes de mousse. Parfois, l’eau devient rouge, parfois marron, parfois elle est très claire et tout cela est inquiétant, car on ne sait pas d’où elle sort et quelqu’un demande si, par hasard, ce ne sont pas des égouts à ciel ouvert. «Non, répond le professeur, ce sont des sources qui viennent va savoir d’où.»
Dans n’importe quel coin de terre, il y a des ordures. Même si on trouve un endroit propre, à mieux regarder, des sachets en plastique à demi enfouis pointent parmi les feuilles sèches. Le ruisseau, qui coule le long du chemin, est encombré par des branches cassées, du sable, et des cailloux, à cause de l’absence d’entretien. Il sort parfois de son lit, pour en creuser un autre dans le goudron de la route.
Ce n’est pas le seul à chercher de ronger le chemin qui porte à la Doire, car, de temps en temps, la route est envahie par des coulées de neige, des petites avalanches qui entraînent des cailloux et défoncent la chaussée. C’est cette neige que les déblayeuses, qui nettoient les routes et le parking de la station d’essence, jettent ici. Au lieu de charger la neige dans un camion, et de la vider directement dans la Doire, elles se prennent la liberté de la déverser dans ce bois oublié.
UN ANCIEN ENCLOS DE RENNES
Lorsque les élèves arrivent à la rivière Doire, ils découvrent l’ancienne source de La Marguerite. Ils ont du mal à faire resurgir dans leurs têtes l’image de la belle cabane décrite dans une fiche étudiée à l’école: en contrebas de la route, il y a une petite construction circulaire, recouverte de branches et de feuilles sèches, un peu défoncée. C’est ce qui reste de son illustre passé. Les élèves entrent l’un après l’autre, pour voir la source qui, obstinée, veut continuer à couler.
Un peu plus loin, il y a un enclos construit pour héberger des rennes, portées jusqu’à Courmayeur pour en faire un élevage et les promener dans le centre ville pour rendre l’atmosphère de Noël plus magique aux yeux des touristes. Malheureusement, elles ont fait long feu et, une après l’autre, elle sont mortes dans l’oubli. Depuis l’automne dernier, l’ex-enclos des rennes est occupé par des chevaux et par un mulet, qui passent leurs étés au Val Ferret, dans un centre équestre. Les élèves s’approchent de l’enclos pour regarder les animaux et ils s’éloignent horrifiés, en criant qu’il y a un cheval agonisant, couché dans la boue et les excréments.
ENQUÊTE SUR LES CAUSES DU DÉCÈS
Tout le monde court regarder et, à première vue, le cheval semble seulement un peu fatigué, mais après l’avoir mieux observé , il est évident que le pauvre animal est en train de mourir, seul, au milieu des autres chevaux qui se promènent autour de lui et qui regardent les visiteurs dans l’espoir d’obtenir quelques friandises. Des élèves prennent du foin d’une balle à côté et lui en donnent. Le cheval, comme secoué par tout ce mouvement, commence à manger. Il cherche de se lever, mais il n’y arrive pas et il semble toujours plus faible.
Des élèves sont désespérés et en larmes. Ils demandent à leur professeur d’appeler le WWF ou Legambiente pour sauver le cheval. Alertés, les gardes forestiers envoient une patrouille et un vétérinaire. La classe voudrait rester au chevet du pauvre animal mourant, mais elle doit rentrer à l’école, revenir dans la lumière de Courmayeur.
En remontant vers le village, ils rencontrent le propriétaire des chevaux. Bouleversé, il dit que c’est le troisième cheval en trois mois qui meurt. Il va chercher les autres animaux pour les mettre ailleurs; il va aussi demander des analyses pour connaître la cause de tous ces décès. Quelques jours après, le cheval mourra. Il aurait été empoisonné par du plomb, selon le propriétaire. On apprend que l’Agence régionale de la protection de l’environnement a fait des prélèvements de terre et d’eau.
Les habitants de la route qui conduit à La Margherita aimeraient savoir si on a refoulé quelque chose d’un peu trop polluant dans ce lieu obscur. Ce serait peut-être le moment de faire de vrais nettoyages de printemps, et pas seulement de balayer la «poussière» sous le tapis!
Collectif d’élèves
Institution scolaire Valdigne Mont-Blanc Courmayeur