« Emblématique des grands ensembles construits en périphérie de Lyon au début des années 50, le quartier de La Duchère se cherche une seconde jeunesse. Dans le seul écoquartier labellisé de l’agglomération, les élus, professionnels de l’urbanisme et habitants tentent de dessiner les contours d’une « architecture à visage humain ». Mais à quel prix ?
Aujourd’hui à Lyon, troisième ville de France, on constate des problèmes de logement dus à la vétusté, à l’impact environnemental et à la pénurie des biens. Sur les hauteurs du 9ème arrondissement de Lyon, le quartier de La Duchère, décrié comme malfamé par les Lyonnais depuis des années est aujourd’hui dans une logique nouvelle de développement durable. En témoigne la création de son écoquartier dans le cadre du projet Lyon-La Duchère sur l’emplacement de l’ancienne barre des Mille. « On a démoli 1714 logements dont 1711 logements sociaux. On en reconstruira 1927 mais parallèlement il y a aussi l’idée de valoriser le patrimoine architectural du XX ème […]. Ce qui est démoli c’est ce qui était nécessaire à la réalisation du projet urbain […]. C’était ça le critère, et c’était pas de démolir pour démolir ». Bruno Couturier, directeur du projet Lyon-La Duchère.
La naissance des « cages à lapins », de la paille au béton armé
Dans les années 50, confrontée à une croissance démographique forte et à une immigration de masse, la France doit construire rapidement des logements. La solution trouvée est la construction de longues et hautes barres de logements sociaux en périphérie des villes. Une véritable « culture du béton », comme la qualifie Olivier Leruth, architecte et urbaniste à Lyon.
A Lyon, l’exemple phare est celui du quartier de La Duchère dans le 9ème arrondissement. En 1958, le Maire de Lyon, Louis Pradel, décide la construction du quartier sur d’anciennes terres agricoles. Jusqu’au milieu des années 70 le quartier est à son apogée. Il accueille principalement des rapatriés d’Algérie et d’autres immigrés et remplit parfaitement sa fonction de « quartier dortoir ». Dans les années 80 et 90 le quartier de La Duchère décline, confronté au chômage de masse et à de nombreux problèmes économiques. Le quartier forge sa mauvaise réputation. En cause : un urbanisme concentrationnaire avec une part importante de logements sociaux (80%) et surtout l’isolement du quartier sur la « troisième colline de Lyon ». L’argent allait là où il n’y en avait pas besoin : dans les centres des villes « qu’on fait très beau, qu’on tricote, qu’on peaufine, où on injecte encore de l’argent à tout va » selon Jean-Baptiste Lestra, paysagiste à Lyon. Ainsi le malaise grandit chez les habitants : entre 1970 et 2000, près de 8000 d’entre eux quittent La Duchère. Le promoteur Pierre-Marie Legloanec évoque cette période d’insécurité, aujourd’hui révolue.
La bataille anti-béton est désormais amorcée
Depuis le début des années 2000, la capitale de la région Auvergne-Rhône-Alpes est en pleine révolution en ce qui concerne son habitat. Lyon accueille en effet en 2017, plusieurs bâtiments dit durables et économes énergétiquement dont le très célèbre quartier de la Confluence, qui n’est pas officiellement un écoquartier. Aujourd’hui, le seul écoquartier en région lyonnaise labellisé comme tel par l’État en 2013 est celui du projet Lyon-La Duchère.
Mais avant d’obtenir cette labellisation, le quartier a fait l’objet en 2001 de concertations publiques pour un futur projet de réhabilitation. Lancé conjointement par la Mairie et la Métropole de Lyon, il a privilégié la reconstruction de certains bâtiments et la rénovation d’autres. A terme, en 2030, il est prévu d’avoir environ 45% de logements privés pour 55% de logements sociaux et développer ainsi la mixité sociale.
Le projet montre aussi une réelle volonté de retrouver une « architecture à taille humaine » comme l’expliquent les acteurs du projet tels que Bruno Couturier, le directeur de la mission de l’écoquartier de La Duchère. Ainsi, les nouvelles constructions ne dépassent pas sept étages et le projet prend aussi en compte les récents objectifs de performances énergétiques des bâtiments dans une logique de développement durable. Tous ces paramètres lui vaudront son label « écoquartier ».
Les acteurs du projet ont aussi souhaité réintroduire un milieu naturel fort au cœur d’un quartier composé de 40% d’espaces verts avec notamment la réhabilitation du parc du Vallon (4ème parc de Lyon).
Mais l’enjeu est aussi le bien-être des habitants du quartier. Le projet s’attache à développer l’activité économique par la construction de locaux d’entreprises et de commerces. Le but ultime étant d’attirer des entrepreneurs dans le quartier voire de donner les moyens aux habitants du quartier d’entreprendre en créant leur propre PME.
Enfin, les Duchérois peuvent aujourd’hui profiter de nouveaux pôles culturels ou sportifs comme la halle d’athlétisme Stéphane Diagana ou le cinéma d’art et d’essai Ciné Duchère.
L’argent, le nerf de la guerre
Aujourd’hui, plus qu’une politique locale, l’« écoquartier » est un véritable business. L’écoquartier est donc de facto un atout majeur pour une ville qui développe ainsi une notoriété de « ville écoresponsable ». Au risque de se réduire à sa dimension marketing, comme le déplore Jean-Baptiste Lestra, paysagiste à Lyon.
Voilà pour la partie émergée de l’« iceberg écoquartier », car la réalité est tout autre. En effet, construire un écoquartier aujourd’hui coûte cher. Très cher. Il faut de nouveaux matériaux, durables et respectueux de l’environnement donc de nouvelles solutions qui respectent celui-ci tout en garantissant un confort moderne. Le problème, c’est que ces nouvelles technologies ont un coût exorbitant (environ 900 000 € pour un bâtiment normal et 1 300 000 € pour un bâtiment durable). Bien que depuis le début du XXIème siècle et l’arrivée de l’écoquartier les prix aient presque rejoint ceux de la construction d’un immeuble simple Il y a toujours des progrès techniques avec de nouveaux matériaux toujours plus performants mais aussi toujours plus chers.
Reprenons l’exemple de notre maire qui veut construire son écoquartier. Que va-t-il faire ? Choisir des matériaux moins chers mais moins performants ou des matériaux très performants mais très chers ? Après tout on ne construit pas un écoquartier tous les jours.
Il va donc choisir en concertation avec ses conseillers municipaux la solution la plus performante énergétiquement.
Bien entendu, si c’est un constructeur privé qui vend des logements de ce type à des particuliers cela reste le problème des futurs propriétaires qui achètent ces logements.
Mais s’ils sont voués au social pour combler une carence en logements dans cette ville et ainsi arriver aux 30% prévus par la loi, qui va payer la différence du coût ? Rappelons qu’en 2018, les dotations de l’État à la Métropole de Lyon ont baissé de 15 millions par rapport à 2017.
©Luna Cavalli; Charlotte Chauveau; Maena Girard; Vincent Martin; Pauline Salvat.