La source Marguerite, le côté obscur de Courmayeur

Avant qu’elle devienne une décharge, puis un lieu oublié, mais toujours envahi par les ordures, la zone en contrebas de la rue Marguerite abritait une source d’eau historique.


Il neige à Courmayeur en ce 19 février, pendant que les élèves de la classe 2A découvrent pour la première fois la source Marguerite, du nom de la duchesse Marguerite de Savoie. Le bonnets mouillés et blancs de neige, ils arpentent la piste forestière qui prolonge la rue Marguerite. La source se trouve sur la rive gauche de la rivière Doire Baltée, un kilomètre environ en aval du pont de Dolonne.
Les arbres sur les côtés du chemin sont gigantesques, mais la lumière pénètre au milieu car ils sont sans feuilles: seulement quand on passe sous les sapins l’ombre nous enveloppe. La route est longue et glacée, plus les élèves s’approchent de la source, plus le bruit de la Doire Baltée est intense. De temps en temps, le petit ruisseau qui coule le long de la route déborde à cause des feuilles et des bouts de bois qui s’entassent le long de son cours. Il accompagne les élèves jusqu’à la fin de la rue. L’odeur de la mousse humide est forte et malheureusement, l’œil tombe sur toutes sortes d’ordures: des sachets en plastique, des pneus, des skis, des casseroles, des jerricanes, jetés par des gens qui ne sont pas trop civilisés et surtout qui ne sont pas trop soucieux de l’environnement!

«CONTRE UNE INFINITÉ DE MALADIES»

Après cent mètres environ, les pylônes en ciment de l’ancienne gondole sont comme une fenêtre sur le passé touristique de Courmayeur. Les gens se rappellent encore très bien de la première gondole, qui faisait un arrêt à Dolonne pour charger d’autres skieurs avant de repartir pour Checrouit. On l’appelait l’«ovovia» car ses cabines rouges, bleues et jaunes, étaient en forme d’oeuf. Lorsqu’on arrive à destination, on entend le bruit de la rivière Doire Baltée et, enfin, cachée par les arbres et la neige, apparaît une cabane en forme circulaire: cette hutte fut bâtie dans la première partie du XIXe siècle.

La hutte qui couvre l’accès à la source Marguerite fut bâtie dans la première partie du XIXe siècle.
Photo © Adam / 19 février 2020


La Marguerite est l’une des quatre sources d’eau minérale qui firent, à la fin du XVIIe siècle, la fortune de Courmayeur, avant le ski. Elles étaient connues pour être sulfureuses, riches d’iode et de bromure, idéales pour soigner toutes sortes de maladie, du scorbut aux rhumatismes, de la fièvre intermittente aux problèmes gynécologiques. Elles étaient les seules de cette espèce dans toute la région et au-delà.
Dans son livre Histoire de la Vallée d’Aoste, publié en 1967, l’abbé Henry raconte que le capitaine naturaliste Montendon, envoyé par la duchesse régente Marie-Jeanne-Baptiste de Savoie pour vérifier «l’efficacité des Eaux minérales» en reporta: «Tous les médecins qui ont fait les essais et tous ceux qui en ont bu assurent que c’est un trésor qu’on ne peut pas assez cultiver, qu’elles sont merveilleuses pour une infinité de maladies.» Les sources sont aussi «utiles dans les obstructions, dans les engorgements du foie, de la rate, des glandes lymphatiques, dans les cathares, dans les écoulements muqueux.» En fait, tout le monde cherchait l’eau de La Marguerite. Il était fortement conseillé de la boire tous les matins.

Alberto Cantele, un habitant de la rue Marguerite, montre les photos qu’il a prises quand la source Margherita était une décharge. © Tommaso 2B / 19 février 2020

Au cours du XXe siècle, le lieu fut en revanche utilisé comme décharge publique et la source recouverte d’ordures. Alberto Cantele, dont la famille a toujours habité à l’entrée du chemin qui mène à la source et qui a lutté pour ne pas la faire disparaître, raconte: «La source Marguerite a été abandonnée et après recouverte de toute sorte de déchets, une vraie décharge lui a été créée dessus.» En 1994, l’administration communale décida de fermer la décharge et la recouvra de terre. L’inondation de l’an 2000 emporta jusqu’au barrage de La Salle tous les déchets ensevelis ici.
Claudio Bergomi, un habitant des lieux qui a vu la source Marguerite avant qu’elle devienne une décharge, raconte: «Autour de la hutte, il y avait des terrains nettoyés et tondus, des chaises et des tables, où les gens pouvaient s’asseoir et discuter. À l’intérieur, il y avait une fontaine d’où coulait l’eau et, en plus, il y avait une pierre sculptée, qui amenait l’eau à l’extérieur; j’ai de beaux souvenirs de l’époque où j’étais petit, quand j’allais chercher l’eau de la source en vélo

Claudio Bergomi, un habitant de la rue Marguerite, a connu la source Marguerite avant qu’elle devienne une décharge. © Tommaso 2B / 19 février 2020

Les élèves curieux entrent les uns après les autres dans la hutte, sauvée par Alberto Cantele, qui a empêché aux pelleteuses de l’enterrer. Ils ne peuvent plus voir grand chose, mais la sortie de l’eau ferrugineuse, qui coule encore dans l’ancienne fontaine pleine de terre et sur laquelle le toit menace de s’écrouler, est évidente. Le professeur les aide pour qu’ils ne tombent pas dans l’énorme flaque qui envahit la cabane. Lorsque les enfants sortent, leurs chaussures sont toutes mouillées et les empreintes qu’ils laissent dans la neige sont rouges, à cause du fer dans l’eau.
Les élèves se sentent tristes car ils ne comprennent pas comment un lieu avec un charme potentiel si élevé puisse être abandonné et même interdit, plutôt que d’être nettoyé, bonifié et réaménagé. Ils ont un sentiment d’injustice et posent des questions aux deux personnages locaux interviewés, les touchant au plus profond de leurs rêves.
D’après Alberto Cantele, «nous devrions récupérer la source Margherita et sensibiliser les gens, parce que l’eau est un bien précieux et ces sources ont créé l’histoire du Val d’Aoste, en particulier de Courmayeur». Selon Claudio Bergomi, «c’est une idée facile à imaginer, mais longue à réaliser, vous pourrez la ramener à son état d’origine, mais il y a des travaux remarquables à faire! Ce serait un gros gain pour tous, pour le village, si on arrivait à réaliser cette idée
Dommage, valorisé et exploité de la bonne manière, cet endroit pourrait être une source d’attraction pour Courmayeur, pourquoi ne pas essayer tous ensemble?

ALICE Classe 2A
Institution scolaire Valdigne Mont-Blanc Courmayeur

Photos © Alberto Cantele
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