L’exode d’un républicain devenu pied-noir

De nombreuses raisons peuvent pousser une famille à partir de son pays ce qui amène donc à une intégration dans un autre pays, cette famille se retrouve alors étrangère. Que ressentent ses membres ? Comment sont-ils accueillis ?  J’ai pu obtenir ces réponses grâce au témoignage de Manuel Sanchez.

 

Manuel Sanchez et sa famille sont originaires d’Espagne et vivent dans un village près de Malaga. Nous sommes en 1949 lorsque la famille décide de fuir l’Espagne en raison du régime dictatorial du Général Franco. S’en suit donc un voyage en direction de l’Algérie qui à l’époque était une colonie française.  Mais en 1962 suite aux fréquents attentats dirigés par Ben Bella et à l’indépendance de l’Algérie, la famille repart en direction de la France.

Nous sommes le 25 juin 1962 c’est le départ pour la France. Manuel s’exprime sur le bateau menant les rapatriés d’Algérie en France.

Carte du trajet de Manuel Sanchez de 1949 à 1962. De Eva Sanchez

« C’est l’exode, le déchirement du départ de ce pays où j’ai passé toute mon enfance. Nous embarquons au port d’Alger vers une destination inconnue. Mes six frères et sœurs sommes entassés par terre dans la cale du bateau, ma mère sur un transat. La traversée dure une nuit mais difficile de dormir dans ces conditions. »

La famille arrive au port de Marseille après ce trajet éprouvant.

« Débarqués sur le port de Marseille, on nous sert un petit-déjeuner sur des tables installées dehors. Ensuite les gens sont dirigés vers différents cars selon leur destination ; le nôtre part en direction d’Uriage en Isère où nous sommes accueillis. Nous sommes logés à Uriage dans une ancienne maison de retraite au milieu d’un parc où ont été installés des mobil-homes supplémentaires. Nous sommes huit dans une chambre, la salle de bains est commune et nous prenons nos repas au réfectoire. »

Le gouvernement a été dépassé devant l’ampleur de l’exode (sur 400 mille personnes prévues sur quatre ans, 1 million sont enregistrées en trois mois. Des mesures d’urgence sont mises en place pour loger les gens (réquisition de logements vacants, construction de programmes spéciaux d’HLM*)

Manuel âgé de 15 ans vit ce changement avec plein de nostalgie pour son ancien pays. Il confie avoir écrit un poème sur son expérience dont il se souvenait au mot près :

 

Quelle était belle notre Algérie

Dont toute ma jeunesse j’ai joui

Sur un bateau, je me suis embarqué,

Qui nous a emmenés vers notre destinée

Je me suis retrouvé dans un pays, essayant de trouver un gite

Seul avec mes pensées, j’essayais de me souvenir des instants de loisirs,

Au beau ciel bleu sur ces plages aux eaux limpides et claires

Au bord de mon chez moi aujourd’hui disparu.

Hélas ! Cela n’est plus qu’un rêve,

Je me retrouve errant, essayant avec quelques efforts de refaire ma vie

Et beaucoup de réconfort.

 

L’organisation de la famille lors de la reconstruction de leurs nouvelles vies.

 

« A ma demande, je suis inscrit au lycée technique de Vizille, en Isère pas loin d’Uriage, pour apprendre la chaudronnerie. En septembre, ma mère et mes frères et sœurs rejoignent mon père qui, depuis l’Algérie, était parti à Lyon chez sa sœur pour trouver du travail dans une entreprise de chaudronnerie. Par chance, son employeur lui a obtenu un logement HLM dans un immeuble construit principalement pour les rapatriés d’Algérie. »

Manuel vit seul depuis que sa mère et ses frères et sœurs sont partis rejoindre leur père, il vit donc seul face aux personnes de son école, où il y a peu de pieds-noirs comme lui, c’est-à-dire des rapatriés d’Algérie.

« J’ai 15 ans, je reste seul à Uriage pour terminer mon année scolaire au lycée de Vizille. Un peu de nostalgie et d’appréhension, il n’y a pas beaucoup de pieds-noirs dans ce lycée, on nous tient un peu à l’écart et on se moque de notre accent. Les vacances scolaires arrivées, je rejoins définitivement ma famille à Lyon. »

Il explique son intégration à Lyon et conclut son vécu durant cette aventure.

« Je redoutai la réaction des gens car certains subissent le mépris, l’hostilité ou l’indifférence de la population, mais tout se passe au mieux car beaucoup de pieds-noirs occupent l’immeuble et l’intégration est plus facile. Je me fais des amis. Je m’inscris dans l’équipe de hand-ball créée dans mon quartier par un occupant de notre immeuble. En septembre, j’intègre pour deux ans le lycée technique de Crépieu où je passe mon CAP de Chaudronnier. A 18 ans, je m’engage dans l’armée pour trois ans. A mon retour, je me marie et après des emplois de salarié, je crée mon entreprise de chaudronnerie. Après beaucoup de doutes, d’angoisses et de nostalgie, après ce long parcours depuis l’Espagne en passant par l’Algérie où j’ai laissé mes souvenirs, ma vie est construite et bien organisée en France où je suis heureux avec ma famille. »

Les frères et sœurs de Manuel Sanchez (l’homme avec un T-shirt corail)

Manuel a beaucoup parcouru durant cette dure période de sa vie. Malgré toutes les complications du voyage et de son intégration, il a finalement reconstruit sa vie et a réussi la dure étape qu’est l’intégration.

La migration de Manuel Sanchez a été compliquée mais pas autant que pour d’autres migrants. Certaines personnes subissent des conditions d’intégrations compliquées beaucoup plus complexes telles que des difficultés à trouver un logement, un travail et le fait qu’ils sont rabaissés parfois même rejetés par d’autres. Beaucoup ont aussi des préjugés envers les migrants comme le fait qu’ils empiéteraient sur les vies actuelles des citoyens. Il n’y a pas que l’intégration qui est compliquée, le trajet l’est aussi car les conditions sont souvent très rudes ce qui rend cette épreuve encore plus difficile. Il ne faut pas oublier que les raisons de départ sont justifiées et multiples comme une situation politique difficile ou la guerre.

Eva Sanchez, Ambre Crépin, Victoire Percet, Romane Descouleurs, Chloé Bertolotto.

*Habitation à loyer modéré